Login

Big Data Exploiter le filon

Cristal Union travaille avec la start-up The Green Data, pour optimiser la logistique en betterave et en sucre, grâce à des modèles tirés notamment de l'analyse des données du groupe coopératif.GUTNER

A l'heure où Big Data rime souvent avec Big Blabla, que se cache-t-il vraiment derrière cet anglicisme ? Les coopératives et les négoces ont en effet leur rôle à jouer sur le sujet de la valorisation des données agricoles. Décryptage et témoignages, pour ne pas rater le virage.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

« Le Big Data, c'est comme le sexe chez les adolescents : tout le monde en parle, personne ne sait vraiment comment s'y prendre, tout le monde pense que les autres le font, alors tout le monde se vante de le faire... » En 2013, la formule de Dan Ariely, professeur à l'université de Duke, aux Etats-Unis, a tellement mis dans le mille qu'elle a fait plusieurs fois le tour de la toile. Et si elle commence à dater, elle s'applique bien au Big Data agricole dans l'Hexagone. Les conférences, événements, tables rondes sur le sujet se multiplient comme des petits pains, avec des débats souvent stratosphériques. Fantasmé, le Big Data est aussi regardé avec méfiance. Il faut dire qu'il réunit tous les ingrédients pour faire couler de l'encre : opportunités exceptionnelles mais encore floues, sujet techniquement difficile à appréhender pour le quidam, et présence de géants comme Google et Monsanto. De quoi se noyer dans les Data Lake, les lacs de données, qui permettent de stocker ces nouvelles masses. Pourtant, il va falloir apprendre à nager sans tarder, car dompter de tels volumes, qui vont aller croissant, ouvre des possibilités innombrables, dont le grand rêve de l'agriculture prédictive. A plus court terme, des outils d'aide à la décision ultraprécis en temps réel, pour l'agriculteur, mais aussi pour les entreprises en interne émergeront. Au contact des exploitants, producteurs de données, pas de doute sur le fait que la distribution agricole doit se pencher sur le sujet bien qu'encore balbutiant, pour prendre le train en marche, tant qu'il ne va pas trop vite.

2,5 trillions de données par jour

Première question : de quoi parle-t-on quand on parle de Big Data, littéralement « grosses données » ? Le Journal officiel du 22 août 2014 a tranché : en France, on parle de mégadonnées, définies par : « Données structurées ou non dont le très grand volume requiert des outils d'analyse adaptés. » En somme, quand les techniques classiques de gestion de bases de données ne suffisent plus. Au niveau mondial, une définition revient aussi fréquemment, celle du cabinet Gartner, les 3V : un volume considérable de données, une grande variété d'informations, et/ou une vélocité élevée, car le traitement des données doit se faire souvent en temps réel ou le plus vite possible. De fait, le flux ne cesse de grossir. Les chiffres donnent le vertige : IBM estime que nous générons chaque jour 2,5 trillions d'octets de données. Dans le monde, 90 % des données ont été créées au cours des deux dernières années seulement. Et en France, dans le monde agricole ? « Des données, on en a, beaucoup », assène Fabien Vallaud, directeur du développement chez Négoce Expansion. Traçabilité parcellaire, GRC, outils connectés, notamment les robots de traite, la météo... Le monde agricole produit un paquet de données. « On en a accumulé beaucoup et on se demande ce qu'on va en faire. C'est un processus inversé par rapport à d'habitude, analyse Léo Pichon, responsable de la chaire Agriculture numérique, à Montpellier Supagro. On dit souvent que les données sont le pétrole de demain, mais c'est plutôt un minerai : il faut voir comment on peut extraire la valeur ajoutée. C'est même mieux qu'un minerai, car la donnée est exploitable par plusieurs acteurs. »

Et cette nouvelle matière première intéresse la distribution agricole. Le cabinet PwC a interrogé en 2016 une douzaine de coopératives agricoles, en France et à l'étranger, sur leur rapport au numérique. Il en ressort que 90 % d'entre elles collectent, stockent et utilisent des données générées par des exploitations, principalement à des fins d'analyse. Mais 50 % jugent que leur exploitation reste « complexe et problématique ».De son côté, Négoce Expansion a aussi conduit cette année une étude sur le sujet, avec un sondage auprès de 600 agriculteurs, et en échangeant avec des négoces, des firmes, des entreprises dans les nouvelles technologies... « Les négociants sont intéressés par la question, mais il y a tellement de choses dans cet écosystème que beaucoup préfèrent attendre de voir des solutions qui fonctionnent, analyse Fabien Vallaud. Certains sont déjà dans la "Smart agriculture", comme les drones, mais pas le Big Data. C'est une période de flou artistique. Et la prolifération des start-up n'aide pas à y voir plus clair. On a un peu l'impression de se retrouver au début des années 2000. » Après cet état des lieux, Négoce Expansion a décidé de mettre en place en 2017 un workshop, autour d'un cycle de réunions réunissant des négoces, des partenaires, couplées avec des rencontres d'acteurs technologiques.

Que faire ensuite de ces données ? C'est là toute la question, celle de la création de valeur ajoutée. Même au niveau international, John Deere fait aujourd'hui uniquement de la collecte de données, et pas d'exploitation. En France, « nous sommes au tout début, il n'y a pas d'acteur qui ait développé de business model rentable aujourd'hui, fait part Stéphane Marcel, à la tête de Smag. Mais nous investissons, car nous avons une idée de comment créer de la valeur pour les distributeurs et les agriculteurs. Nous sommes plutôt enthousiastes sur le futur et sur la mise au point de produits ». Réponse en 2017-2018 pour en savoir plus sur ces fameux outils, car si Smag donne des pistes (lire ci-contre), elle reste discrète sur les projets en cours.

Encore aux balbutiements

« On a une matière première qui se renouvelle, qui se génère en permanence. Aujourd'hui on peut avoir des modèles dynamiques, qui s'ajustent en permanence en fonction des données générées », ajoute Stéphane Marcel. « Actuellement, en France, on voit pas mal d'acteurs qui veulent se positionner sur le sujet. Mais il n'y a pas encore de concret », estime Vincent Benoist, directeur communication d'Actura. Si le réseau de négoces et de coopératives n'en est pas au Big Data, sa démarche sur la valorisation des données collectées auprès des adhérents et des agriculteurs est bien aboutie (lire p. 30). Jérémie Wainstain, cofondateur de la start-up The Green Data, voit dans le monde agricole des potentialités énormes : « C'est un secteur qui part avec du retard, mais ce peut être un atout pour aller plus vite. Les données, c'est une matière première, et la filière agricole est experte pour valoriser des matières premières. Et on sent une vraie volonté de mettre en commun les données. » Car seule, une donnée ne vaut rien. Gare à ne pas tomber dans l'écueil de dire : les données sont précieuses, donc je les garde pour moi. « Les données, c'est l'inverse de l'or. Plus on les garde à l'abri dans un coffre-fort, plus elles perdent de la valeur. La richesse d'une donnée c'est d'être utilisée en temps réel. Seules 20 à 30 % d'entre elles peuvent servir a posteriori. Peu de personnes ont bien saisi cet enjeu. On garde encore la donnée précieusement. Mais cela va évoluer », observe Marc Hoppenot, à la tête de la start-up Wiuz, qui mutualise des données numériques. Ses deux clients premiers clients sont d'ailleurs Terrena et Axéréal (lire p. 31). Au niveau national, les chambres d'agriculture et les instituts techniques ont donné naissance à la plate-forme Api-Agro, devenue une SAS (lire p. 26). Ouvrir les contenus, oui, mais pas n'importe comment. « C'est pas parce qu'on est sur de l'open data que c'est open bar pour tout le monde », résumait Jacques Mathieu, directeur d'Arvalis, le 8 novembre lors de la présentation de la SAS Api-Agro.

Trouver les compétences

Ensuite, faut-il internaliser ou externaliser ? « Les OS développent différentes stratégies, analyse Christian-Guillaume Marchal, directeur de Greenflex, société spécialisée en solutions environnementales, énergétiques et agricoles. C'est un nouveau métier, les compétences se trouvent rarement en interne. Il faut donc former des équipes ou recruter, et investir dans des projets de développement. C'est un investissement assez important au démarrage, mais qui peut, à terme, porter ses fruits. Terrena a fait ce pari. L'autre voie consiste à codévelopper des applications avec des partenaires parfois non agricoles, à devenir le chef d'orchestre d'un écosystème. C'est le choix d'Agrial. Enfin, les coopératives plus petites, qui n'ont pas les moyens d'investir seules, pourront se rattacher à des groupements, comme ce que propose InVivo avec les outils de Smag. »

En tout cas, attention à ne pas perdre de vue l'intérêt de ceux qui génèrent les données : « Elles viennent des agriculteurs, ils doivent en retirer quelque chose », appuie Fabien Vallaud. Et avec les objets connectés qui arrivent, comme les capteurs de la start-up Weenat, les données ne vont pas cesser de pleuvoir. Un champ des possibles s'ouvre, même si, comme le sexe chez les adolescents, on est loin de la maturité.

DOSSIER RÉALISÉ PAR MARION COISNE

Cristal Union travaille avec la start-up The Green Data, pour optimiser la logistique en betterave et en sucre, grâce à des modèles tirés notamment de l'analyse des données du groupe coopératif.

GUTNER

Sommaire

Exploiter le filon

    A découvrir également

    Voir la version complète
    Gérer mon consentement